Tout s'était passé dans un brouillard confus. J'avais attendu en silence, assis par terre, que la police vienne me chercher. Et c'était ce qu'il s'était passé. Ils étaient venus, avaient un peu discuter avec mon employée puis je m'étais retrouvé menotté et emmené dans un voiture aux vitres teintées. Très vite, j'avais fermé les yeux, laissant le voyage me bercer. Sun Hae n'était pas là. Je me sentais seul, j'avais envie qu'elle soit là mais... J'avais été celui qui l'avait repoussée. Je n'avais aucune raison de vouloir sa présence. Alors je n'avais rien dit, j'avais été sage. Pour la première fois depuis longtemps. On m'avait emmené à l'hôpital, d'abord, pour me soigner, ensuite j'avais été enfermé quelque part. J'avais perdu le fil. Je ne savais même plus quel jour où on était, combien de temps avait passé jusqu'à ce qu'on revienne me chercher. Nouveau trajet en voiture en silence, je n'avais pas prononcé un mot depuis la fin de ma conversation avec Sun Hae. J'aurai aimé savoir quel jour on était mais j'étais incapable de le demander. Je voulais juste voir mon employée. M'assurer qu'elle allait bien. J'espérais avoir pris la bonne décision...
On arriva dans un garage, je ne savais pas où j'étais et avais suivi en silence mes geôliers. Moi qui pensais me retrouver devant un juge ou quelque chose comme ça, j'avais eu tort. Nouvelle salle plutôt vide, qui ressemblait énormément à une salle d'interrogatoire. Une seule chaise, j'avais compris sans problème qu'elle était pour moi. Je m'étais assis et on m'y avait menotté. Comme si j'allais essayé de m'enfuir. Je pouvais très bien avoir quitté Kyul, je n'en savais rien. Je savais juste que Sun Hae n'était pas là et que je n'avais plus mal à l'épaule. Je gardais ma tête baissée, les yeux fermés. J'aurai pensé que les choses se seraient déroulées plus vite, qu'on m'aurait rapidement effacé la mémoire. Mais bon. Peut-être n'avais-je quitté Sun Hae que depuis quelques heures... Qui sait ?
La porte s'ouvrit et je relevais la tête, mon regard tombant sur un inconnu masqué, habillé de noir. Il était accompagné de... Mes yeux s'écarquillèrent et mon cœur s'accéléra. « Sun Hae... » Ma voix me semblait usée, et je dus me racler la gorge pour ne pas avoir l'air d'un homme au bord de la mort. J'avais encore un peu de fierté. La voix de l'inconnu interrompt mes pensées et je pose mon regard sur lui, à nouveau. Je hoche la tête à sa question. « Je suis là parce que j'ai demandé à oublier. » Je ne voulais pas qu'il oublie que j'étais là parce que je l'avais décidé. Si j'avais été contre, ils ne m'auraient jamais attrapé. Jamais.

L'inconnu ne fait pas de commentaires, si bien qu'un frisson me parcourt. J'ai soudainement l'impression de me retrouver face à une machine, un robot. Mon regard glisse vers Sun Hae qui m'évite et ne dit rien. On dirait qu'elle n'est qu'une spectatrice... J'aurai bien aimé en savoir plus, je ne comprends pas qu'elle soit là, mais, avant même que je puisse songer à poser une question, ce qui semble être mon interrogatoire commence. Je hausse un sourcil devant la première question. « Je m'appelle Choi Joon Hee, né à Busan en Corée du Sud, le 28 juin 2032. Mon père est mort et ma mère est je-ne-sais où quelque part dans le monde. J'ai 25 ans et j'ai fait des études de psychologie, forcé par mes parents, avant d'abandonner et de déménager pour Daegu où j'ai été engagé dans une pâtisserie. C'est là que j'ai appris à faire des gâteaux. Je suis actuellement pâtissier et vends aussi des confiseries. » A peine ai-je fini ma réponse qu'une question suit. Cette fois encore un frisson me parcourt. Cette année fut sans doute la pire de toute ma vie. Je ne cherche même pas à cacher ma haine en répondant. « J'ai tué un soi-disant ami. Ce qui est totalement faux- » Une nouvelle question me coupe. Je crois bien que je commence à voir où ils m'emmènent... Reprenant mon calme, je réponds plus lentement, choisissant mes mots avec soin. « J'ai été condamné pour avoir tué mon père. D'autres meurtres ont été rajoutés à la liste mais c'est celui de mon père qui m'a fait plonger. Même si, techniquement, je n'avais encore jamais tué. Il s'agissait simplement de non-assistance à personne en danger. Qu'est-ce que ça change, que je sois celui qui les ai mises en danger, hein...? » Je laisse un sourire étirer mes lèvres, fier de moi malgré tout le temps qui a passé. « J'ai poussé toutes ces personnes au suicide. Elles en avaient besoin,
elles allaient mal, je me suis contenté de les aider à régler leur problème. Définitivement. Si ça vous intéresse, mon premier suicidé a été accidentel. Les autres moins, c'est très jouissif de voir l'emprise qu'on a sur une personne. Mon père était, de loin, la personne la plus intéressante à manipuler. » Un petit silence suit ma réponse et je souris toujours, fixant l'inconnu. Je refuse de regarder à nouveau Sun Hae. Elle ne doit pas avoir de regrets.
Une nouvelle question m'est posée et je me mords l'intérieur de la joue pour ne pas rire. J'avais bien deviné. « Je n'ai jamais oublié. Le matin qui a suivi l'effacement de mes souvenirs, je me souvenais de tout. J'avais cependant la nette sensation qu'on essayait de me voler mes souvenirs. Manque de chance pour vous, mes suicidés restent mes souvenirs les plus précieux et les plus joyeux. Alors, forcément, ils n'ont pas réussi à disparaître... » L'inconnu ne réagit pas et la cinquième question, si j'ai bien compté, mon cerveau reste un peu embrumé malgré tout, m'est posée. « Je suis ici parce que j'ai à nouveau poussé au suicide, trois fois, et que j'ai tué une personne. » Pour une raison inconnue, je ne parle pas de Yoo Hwan ou de l'autre connasse que j'ai agressés. Je n'ai pas envie qu'il le sache, lui. Mon regard glisse à nouveau vers Sun Hae. J'espère qu'elle n'a rien dit par rapport à ça... Une nouvelle question m'est posée et me fait écarquiller les yeux, avant que mes sourcils ne se froncent. Celle-là, je ne l'avais pas vue venir. « Je... C'est Sun Hae. Choi Sun Hae. Mon employée et... C'est tout. » Je ne sais pas trop pourquoi je m'étais arrêté si tôt... Peut-être parce que je ne méritais pas de la considérer, de la décrire comme étant mon amie. Et, sinon... Je refuse de dire à cet inconnu combien elle compte pour moi. Alors je ne dis rien de plus et le silence se fait. Sans savoir pourquoi, je sais que c'est la fin. Je croise le regard de Sun Hae, espérant lui faire comprendre, à travers mon regard, combien je suis désolé. Et combien je l'aime.