Les mots sont dotés d'une force qui leur est propre. En fonction de l'intention qui les anime, ils peuvent être rassurants, apaisants, enrageants, effrayants,... A ma naissance, on m'a doté d'une voix plutôt exceptionnelle – sans me vanter – qui a toujours attiré les gens, autour de moi, qui les a même parfois poussés à me jalouser. Je réalise, avec le recul, que si je provoquais volontairement la jalousie des autres, c'était principalement pour combler un manque : l'affection parentale. Mes parents, initialement, ne voulaient pas d'enfants : trop de responsabilités, trop de contraintes, trop de changements. Mais ma mère s'est retrouvée enceinte – pilule oubliée ou préservatif défectueux, je n'en sais rien – et n'a pas pu avorter, c'était contraire à leurs croyances. Alors je suis venu au monde.
Il faut savoir que mes parents étaient des intellectuels, des psychologues très cultivés et curieux qui, cependant, n'ont jamais été conquis par l'instinct maternel ou l'instinct paternel mais ils ont très vite décidé de m'examiner, de m'utiliser comme cobaye pour voir comment produire l'enfant parfait. J'ai grandi dans une maison froide, dans une des villes les plus chaudes de Corée du Sud : Busan. Il n'y avait pas que la température de chaude, là-bas, il y avait aussi la façon dont les gens agissaient, parlaient, aimaient. Tout, autour de moi, était rempli de vie, de joie, de chaleur, et j'enviais toutes ces vies qui s'écoulaient, autour de moi, j'aurais voulu vivre à la place de mes camarades de classe, me faire gronder par ma mère parce que je ne dormais pas assez, me faire féliciter par mon père après mon premier coup de poing donné... Mais je n'avais rien de ça.
Mes parents travaillaient beaucoup et me demandaient très peu : que j'ai de bonnes notes. J'ai passé toute ma scolarité à être premier de mon école, pas par don naturel mais parce que j'espérais que cela rendrait mes parents plus aimants, plus humains. Or, ça n'a jamais marché. Mes parents n'ont jamais changé et j'ai continué d'espérer. Vainement.
Avec le temps, cependant, les études sont devenues plus simples pour moi qui étais habitué à beaucoup travailler, j'avais plus de temps libre. Mes parents m'ont alors dit que je pouvais lire leurs livres de psychologie, que ça servirait toujours. Toujours plein d'espoir, j'ai obéi. Je n'aurai pas dû être surpris, en fin de lycée, d'apprendre que j'allais en école de psychologie. Pour devenir comme mes parents : psychologue. C'est durant ma première année d'étude que j'ai compris combien ma vie était vaine et vide. Et, avec cette réalisation, s'est créé un sentiment : la haine, envers mes parents. Faute de savoir quoi faire de ma vie, j'ai cependant continué d'étudier.
Puis une chose clé est arrivée. J'étais habitué à accueillir les confidences de mes soi-disant amis qui me savaient une tombe par rapport à ça, ils appréciaient, de plus, mes conseils. Seulement, un jour, tout a dérapé. Un ''ami'' se plaignait, encore et toujours, de sa vie presque aussi pitoyable que la mienne. J'ai explosé, ça m'a énervé. Il ne comprenait pas qu'il avait pourtant une famille aimante, de l'argent, un avenir prometteur, une passion ! Il avait tout pour réussir, alors que moi... Sans réellement le prévoir, je l'ai poussé au suicide. Avec mes mots. Je lui ai broyé tous ses espoirs de mes mots, je lui ai fait comprendre que son seul soulagement serait d'être mort. Il m'a pris au mot.
Il n'a pas vu le soleil se coucher.
Lorsque je me suis rendu compte de ce que j'avais fait, j'ai senti une vague de puissance m'envahir et, surtout, je venais de trouver ce que je voulais faire. J'avais trouvé mon but. Je voulais tuer, à nouveau, noyer les gens dans leurs ennuis et les pousser au suicide, les empêcher de voir de porte de sortie.
Pour faire bonne mesure, j'ai continué encore un peu les études de psychologie, jusqu'à être sûr de ne pas manquer d'informations pour atteindre mon objectif : semer la mort. J'ai quitté l'université du jour au lendemain, au bout de trois ans d'études, et je suis parti pour Daegu, un peu plus au nord, pour fuir ma famille et repartir de zéro. Là-bas, j'ai été embauché par un pâtissier comme vendeur. Il appréciait le fait que je sois souriant, que je mette à l'aise les gens, que je sois bavard. Il ne savait pas combien j'utilisais ces qualités à mon avantage. Les clients venaient, j'apprenais beaucoup du métier de vendeur mais aussi de celui de pâtissier. Et je tuais, lentement mais sûrement. Les clients se confiaient, au bout d'un certain temps, et j'utilisais ça contre eux. Seulement, je me suis laissé aveuglé par mon désir de mort.
Mon père est venu me rendre visite, une fois. Soi-disant pour renouer... Je n'ai pas pu m'en empêcher, j'ai joué avec lui. Ça aura été dur, il m'aura fallu trois jours, mais j'ai fini par briser sa carapace. Il ne s'attendait pas à ça de la part de son fils, n'a rien vu venir, aussi bon psychologue qu'il était. Il s'est pendu. Deux jours plus tard, j'étais arrêté.
Ils avaient fini par faire le lien entre tous ces suicides et moi, avaient fini par comprendre que je menais les ficelles mais, en toute honnêteté, ils n'avaient rien contre moi. Je ne faisais, après tout, que discuter avec ces personnes... Seulement, j'ai perdu le procès. Au lieu d'être condamné à mort, on m'a conduit quelque part, on ne m'a pas dit où. Un liquide m'a été injecté puis... Ce fut le noir. A mon réveil, j'avais l'impression que certaines choses m'échappaient. Ce ne fut qu'une fois que je me sois bien réveillé que j'ai compris ce qui clochait. Mes souvenirs de tous ces meurtres, ces souvenirs que je gardais si précieusement en moi... ils s'effaçaient. Ou, du moins, tentaient. Les sentiments qui y étaient liés étaient trop puissants, trop forts, pour que je parvienne à oublier.
Plus tard, j'ai compris que là où on m'avait envoyé, je n'étais pas le seul dans ce cas-là. Enfin, disons plutôt que c'est une impression plus qu'autre chose. Pendant mon ''sommeil'', on m'avait recréé une vie, je me suis retrouvé installé gratuitement dans une pâtisserie fermée depuis quelques temps, avec une unique employée. Choi Sun Hae. Je ne sais pas exactement quel est son rôle, à cette fille, mais j'ai la sensation qu'elle sait réellement qui je suis, et qu'elle est là pour me surveiller. Elle a cette manie de ne jamais me quitter du regard, même quand elle travaille avec moi. Et j'ai beau tout faire pour la pousser à partir, elle ne part pas. Elle reste, s'accroche, alors même que je lui mène la vie dure.
En attendant, je fais comme si de rien n'était, je joue le rôle qu'on m'a imposé en faisant semblant de ne jamais avoir tué une seule personne. La pâtisserie attire beaucoup de clients, j'ai même ouvert un coin confiserie pour les enfants. J'aime les enfants, j'ai envie de les protéger, je les couvre d'amour et de bienveillance. Les adultes, eux... Je ne m'amuse pas encore, je préfère être bien vu par le laquais qu'on m'a refilé comme vendeuse, juste au cas où... Je n'ai plus tué depuis mon arrestation, à mon plus grand désespoir... Mais je compte bien tuer à nouveau, un jour. Et, cette fois, je tuerai encore plus parfaitement. Si bien qu'on ne pourra pas m'attraper cette fois.
Surtout que je n'y serai toujours pour rien, je ne fais que discuter, après tout...