Sujet: La mort de Hauru Ven 10 Fév - 20:17 | |
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Il faisait froid, dehors, alors que je fermais la boutique, abaissant le rideau de fer. Sun Hae était partie plus tôt, je l’avais libérée environ une heure auparavant, lui expliquant que j’avais un rendez-vous important et ne pouvais pas rester ouvert jusqu’à l’heure habituelle. Mais qu’elle aurait sa paye habituelle malgré tout… Elle m’avait obéi, comme toujours. Une fois la boutique bien fermée, je la traversais dans l’autre sens, me dirigeant vers la sortie de derrière – habituellement verrouillée – et ouvris la porte en bois, la refermant derrière moi pour plus de sécurité. J’avais beau savoir que cette boutique, cette vie ne m’appartenaient pas vraiment, je ne pouvais m’empêcher de tout faire pour les protéger, les garder intacts. C’était tout ce que j’avais, actuellement. Avec Sun Hae. Secouant la tête, j’enfilais mon manteau et m’éloignais, me dirigeant vers le parc de la ville, les oreilles grandes ouvertes pour vérifier que personne ne me suivait. On pouvait me traiter de paranoïaque, peu importe, mais je savais bien combien ma position était précaire, sur cette île. La mienne et celle… d’autres. Comme sans doute d’autres personnes, à Kyul, j’avais reçu une note, dans ma boîte aux lettres, d’une certaine… Plume. Sûrement un nom de plume – excusez le jeu de mot… - mais je me fichais bien de savoir comment cette personne, ce fonctionnaire, pouvait s’appeler. La seule chose qui me préoccupait un tant soit peu soit le fait qu’elle semblait savoir qui j’étais. Le matin de la réception de cette note, j’avais surveillé l’attitude de Sun Hae, au cas où, pour voir si elle avait reçu quelque chose de semblable ou non. Mais elle avait agi comme d’habitude et la peur de me dévoiler m’avait empêché de lui en parler. Je ne savais toujours pas quel était son rôle, dans cette vie qu’on m’avait créée, mais je savais que même si elle n’avait rien à voir là-dedans, je ne voulais pas qu’elle soit au courant. Qu’elle sache combien je pouvais être encore plus mauvais et cruel que ce qu’elle pensait. Mais peut-être s’en doutait-elle… Après tout, je l’avais déjà blessée… Je soupirais, levant le visage vers le ciel noir. Il n’était pas très tard mais l’hiver était encore bien avancé et il faisait complètement nuit. Cependant, les journées rallongeaient déjà et, dans quelques semaines, je fermerai la boutique en voyant le soleil se coucher. Puis, il ferait encore jour alors que je la fermerai. Et tout continuerait ainsi, un cycle interminable. Sauf pour chaque être. Chaque personne faisait parti de ce grand cycle mais était, à sa manière, un autre cycle, un qui n’était pas interminable. Bien au contraire. Cette pensée me fit sourire aux étoiles que je parvenais à distinguer, l’excitation chauffant mon visage. J’accélérais instinctivement le pas, pressé d’arriver à destination, alors même que je n’avais pas beaucoup de chemin à parcourir. J’espérais juste arriver avant mon rendez-vous. Arriver après moi lui ferait le plus grand bien. Mes pensées se promenaient sur leur propre chemin, légères et détendues, alors même que le froid s’infiltrait sous mon manteau, mes mains gantées formant des poings plus serrés dans mon manteau, espérant les garder bien chaudes et détendues. Je pénétrais dans le parc silencieusement, vérifiant discrètement que personne ne me suivait ou qu’il n’y avait personne aux alentours. Il faisait nuit, il faisait froid, personne n’était là. Nous allions être tranquilles. Je me dirigeais vers notre point de rendez-vous, m’asseyant sur le banc où je devais attendre mon compagnon de la soirée. Je croisais les jambes et jetais rapidement un coup d’œil à mon portable, remarquant que j’avais cinq minutes d’avance. Je soupirais et me reculais contre le dossier, prêt à attendre. Il fallut que j’attende seize minutes avant que Hauru n’apparaisse, courant presque vers moi, un sac dans une main. Je ne me redressais pas, me contentant de le fixer, le visage neutre alors même que les battements de mon cœur s’accéléraient. Une fois qu’il fut à ma hauteur, il se pencha légèrement en avant, appuyant ses mains sur ses genoux pour reprendre sa respiration, parvenant malgré tout à parler : « Désolé… Du retard... » J’émis un léger bruit, le fixant toujours. « J’ai attendu, Hauru. Ce n’est pas très gentil d’être en retard. Surtout ce soir. » Surpris, mon interlocuteur se redressa, son visage rougi par sa course, le froid et sans doute une légère honte, tourné vers moi. Ses yeux s’étaient écarquillés. « Je suis vraiment désolé, je… Mon patron ne m’a pas laissé- » Me redressant légèrement, je secouais la tête, les sourcils froncés. « Et alors ? Tu aurais pu lui dire que tu avais un rendez-vous important. C’est ce que j’ai fait, avec Sun Hae et regard : je suis arrivé à l’heure. Moi. » Hauru me fixa en silence, sa poitrine se soulevant encore irrégulièrement, les yeux légèrement humides. Je me sentis trépider, une sensation que je n’avais pas ressenti depuis bien longtemps… Je me sentais presque ivre, d’une certaine façon, ivre d’un bonheur qu’on m’avait retiré de force et qui m’avait ô combien manqué. Décidant de mettre fin au supplice de mon pitoyable compagnon, je désignais la place sur le banc à mes côtés : « Assieds-toi. » N’osant plus rien dire, Hauru obéis sans un mot et s’assit respectueusement, le dos droit et les mains posées sur ses genoux. Je le regardais de haut en bas, de côté, veillant toujours à garder une expression neutre. « Alors, qu’as-tu décidé ? » La question sembla le prendre au dépourvu, il tourna brusquement la tête vers moi, les yeux à nouveau écarquillés mais secs. Sa bouche s’ouvrit. Se referma. Se rouvrit : « Je... » Il se tut et je vis sa pomme d’Adam rouler sous sa peau, alors qu’il déglutissait. Haussant un sourcil, je feignis la surprise : « Tu veux dire que tu es venu ce soir, sans avoir pris ta décision ? Alors même que tu avais promis d’y réfléchir ? » Hauru détourna le regard et je souriais, cette fois, sadiquement. « Eh bien… Tu es vraiment aussi inutile que ce que ta mère disait… Pas étonnant qu’elle ait préféré se tuer plutôt que de continuer à vivre avec toi. Elle devait déjà savoir à quel point tu serais un échec. » Les joues de victime se colorèrent à nouveau, plus violemment qu’avant et je le vis humidifier ses lèvres, ouvrant à nouveau la bouche pour parler. « Non, elle… Elle ne s’est pas suicidée… Elle a été renversée, elle m’a sauvé... » Je ris, froidement, remarquant combien Hauru se tendit, à mes côtés. « Tu crois vraiment ça ? On en a pourtant parlé, Hauru… Tu n’écoutes définitivement rien... » Je sortis ma main droite de ma poche pour la poser sur sa tête, jubilant intérieurement alors qu’il se recroquevillait sur lui-même à mon contact. Doucement, je caressais le sommet de son crâne. « Ta mère ne te supportait plus avant l’accident, pourquoi se serait-elle sacrifiée pour toi, mh ? Non. Elle s’est jetée sous la voiture en te poussant pour être sûre de ne plus avoir à te voir, à vivre avec toi. C’était la seule solution qu’elle avait, puisque ton père est parti avant même ta naissance. » Je fis une pause, souriant toujours, et descendais lentement ma main jusqu’à son visage, caressant sa joue au moment où une larme roulait sur sa peau. « Pauvre petit Hauru, aucun de ses parents ne l’ont aimé… Ils ont tous les deux préféré partir, l’abandonner, plutôt que rester avec lui... » Ses paupières se fermèrent, alors que d’autres larmes coulaient sur ses joues. J’en essuyais une, me rapprochant pour presque murmurer dans son oreille : « Tu vois ? Personne ne t’aime, ici. » Un sanglot s’échappa de ses lèvres et je m’écartais légèrement, remettant ma main dans ma poche. Puis j’attendis. Qu’il reprenne contrôle de ses émotions. Mais pas trop non plus. J’attendis en silence, fixant un point en face de moi, surveillant du coin de l’œil ses faits et gestes. Au bout de quelques minutes, Hauru avait réussi à stopper ses larmes et sanglots et prit une grande inspiration, se tournant vers moi. « J’ai pris ma décision. Je vais le faire. » Je me tournais à nouveau vers lui, souriant aussi gentiment que je pouvais. « Tu as pris la bonne décision. Tu as ce qu’il te faut ? » Il hocha la tête et sortit de son sac à dos une grosse corde. Reniflant de temps en temps – sûrement plus à cause du froid que de son excès d’émotions plus tôt – Hauru tenta de faire un nœud dit de pendu. Cependant, ses mains tremblaient trop pour qu’il y arrive. Aussi, je sortis mes mains gantées de mes poches et pris la corde, faisant son nœud à sa place. Lorsque j’eus fini, il me remercia et pris la corde puis, d’un geste précis, la passa autour d’une branche au-dessus du banc, la sécurisant. Je me levais sans rien dire, l’observant alors qu’il passait la tête dans le nœud et montait sur le banc. Cependant, voyant que la corde n’était pas assez tendue, je montais à ses côtés et rajustais le nœud l’attachant à la branche, une nouvelle vague d’excitation m’envahissant alors que je l’entendais reprendre sèchement sa respiration, sans doute déjà un peu coupée. Il arriva cependant à me parler, alors que je descendais du banc : « Vous… Vous pourrez pousser le banc, s’il vous plaît… ? » Je lui souris levant une main pour caresser tendrement sa joue. « Oui, ne t’inquiète pas. Je compterai jusqu’à trois puis je le pousserai, d’accord ? » Un sourire hésitant étira ses lèvres avant qu’il ne prenne une nouvelle inspiration. « Merci pour votre aide. Vraiment. » Je lui souris à nouveau et m’écartais légèrement, posant un pied sur le banc. « Tu es prêt ? » Il hocha légèrement la tête et je commençais le décompte : « Un… Deux… Trois. » En arrivant sur le dernier chiffre, je poussais violemment le banc, de toutes mes forces, et le fis basculer. La corde se tendit alors que Hauru tombait de quelques petits centimètres, ses pieds tendus vers le sol qu’ils ne parvenaient pas à atteindre. Ses mains montèrent automatiquement vers la corde et son cou, alors que son visage tournait très vite au rouge, la voie d’air brutalement coupée. Je me reculais de quelques pas, l’observant s’agiter, des grognements et gémissements s’échappant de ses lèvres. Puis, au bout de quelques instants, il se figea, les yeux grands ouverts. Ses mains retombèrent le long de son corps qui se mit à se balancer doucement. Avec un sourire satisfait, je me retournais vers la sortie du parc. Une fois dans la rue, je sortis mon portable, remarquant combien mes mains tremblaient. Je savais cependant que ce n’était pas dû au regret, au choc, à la peur ou quoique ce soit d’autre mais à l’excitation. Cela faisait tellement longtemps que j’attendais ce moment… J’avais presque envie de pleurer de bonheur. Je regardais l’heure. 20H43. Après quelques secondes d’hésitation, j’enlevais un gant tout en me dirigeant vers la boutique et composais rapidement l’unique numéro – en dehors du mien – que je connaissais par cœur. Je plaçais l’appareil contre mon oreille et attendis que la sonnerie soit coupée, une douce voix résonnant de l’autre côté de la conversation, pour parler, un tout autre sourire qu’auparavant sur les lèvres : « Sun Hae ? Tu es disponible ? Mon rendez-vous s’est fini plus tôt que prévu et je me demandais si… Tu serais d’accord pour qu’on se voit… ? … Je peux venir à ton appartement, si tu n’as pas envie de sortir… Ça ne me dérange pas, je suis pas très loin. »
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