Les mains croisées sur le bureau, le visage fermé, les yeux rivés sur la porte devant lui, Mr. Tanaka, maire de la ville de Kyul attendait l’arrivée d’un des habitants de la ville. Kaneko Gregory. Comme pour toutes les personnes ayant reçu le sérum, il était surveillé par les agents de la ville pour être sûr et certain que celui-ci fonctionnait sur le jeune homme. Si, au départ, il n’y avait rien à signaler quant au comportement du postier, cela avait commencé à changer récemment. Il était devenu violent, il avait frappé une personne. Certes, c’était peut-être simplement instinctif, ses excès de violence étaient certainement dus à une mauvaise période mais rien ne pouvait être laissé au hasard. Surtout quand Mina en faisait les frais. Il avait beau être un père absent, il voyait sa fille comme son trésor et il n’acceptait pas qu’une personne la touche, la blesse. L’interphone se mit à sonner, l’homme appuya dessus afin d’écouter ce que sa secrétaire avait à lui dire. Apparemment, son rendez-vous venait d’arriver.

« Faites-le monter, dit-il simplement avec le sérieux qui le caractérisait. »

Quelques minutes plus tard, quelqu’un toqua à la porte avant de l’ouvrir. La secrétaire annonça le nom de la personne qu’il attendait et Tanaka se leva afin de l’accueillir, le visage toujours fermé.

« Kaneko Gregory, bonjour. Je suis Mr. Tanaka, le maire de la ville, assez-vous, je vous en prie. »

Sur ces mots, il désigna la chaise derrière le bureau qui lui faisait face. Il se rassit avant de croiser, à nouveau, ses mains sur le bureau et attendit que le postier soit assis pour reprendre la parole.

« Si je vous parle de Tanaka Mina, est-ce que cela vous dit quelque chose ? »

Tourner autour du pot n’était pas dans les habitudes de l’homme qui pouvait impressionner par son charisme mais qui pouvait faire office de confident s’il décidait de se montrer plus doux. Cela arriverait peut-être au cours de l’entretien si l’attitude de Gregory le demandait.

Même s’il pouvait paraître impressionnant, Mr. Tanaka ne cherchait pas à inspirer la peur. Pour le moment, il cherchait surtout à comprendre ce qui avait pu arriver au postier pour qu’il frappe sa douce fille. Il voulait bien accorder qu’elle pouvait avoir son caractère de temps en temps mais comme tout le monde, elle était humaine et ça n’autorisait pas qu’on la frappe. Aucun humain comme aucun animal ne méritait d’être frappé à cause de la folie d’un individu, c’est pour cela que le maire appréciait autant le sérum : il permettait d’annihiler ces excès de violence. Mais apparemment, l’effet pouvait s’estomper, ce qui pouvait être problématique voire dangereux. Après tout, l’île regorgeait d’anciens criminels dont les instincts ne demandaient qu’à se réveiller, il n’osait imaginer le chaos que cela pourrait causer. Il fallait à tout prix éviter cela. L’homme se pencha légèrement en avant pour observer la personne face à lui avant de reposer son dos contre le dossier. Il devait recueillir le plus de propos possible de sa part et, même s’il pouvait toujours utiliser la manière forte, il préférait qu’il soit conciliant.

« Tanaka Mina est bien ma fille oui, mais si je vous ai convoqué ici c’est en tant que maire, non en tant que père. »

Certes, il y aurait peut-être son côté paternel qui risquait de se manifester de temps en temps mais Mr. Tanaka faisait toujours en sorte de mettre ses sentiments de côté. Depuis longtemps, il évitait de faire preuve de compassion.

« Je peux demander pourquoi vous a-t-elle insulté ? Il doit y avoir une raison pour qu’elle dise ce qu’elle a pu dire, comme vous avez une raison pour l’avoir frappée, je me trompe ? »

Il n’y avait aucune animosité dans sa voix, il cherchait à avoir des réponses, à mettre le jeune homme en confiance, pas qu’il ait peur et qu’il fuit.

Une des caractéristiques de Mr. Tanaka était son habileté à garder une apparence calme et sérieuse en toute circonstance. Il était rarement déstabilisé, les années lui avaient appris à prendre sur lui, surtout depuis que les AOA avaient été créés. Il devait être leur repère et ne pouvait pas se permettre de flancher à la première occasion venue, peu importe s’il s’agissait de sa fille ou non. C’est pour cette raison entre autres que l’homme écouta simplement la réponse de Gregory qui expliquait la raison pour laquelle il avait envoyé Mina à l’hôpital. Si au début, il trouvait un semblant de logique dans l’explication, tout s’envola lorsque son interlocuteur eut fini de parler. Il avait réagi en conséquence ? Il avait utilisé ses poings pour répondre à une provocation orale.
Le maire se leva de son siège afin de se poster devant la grande baie vitrée qui se trouvait derrière son bureau et regarda la ville qu’il dominait depuis ce building. Il se retourna ensuite vers son rendez-vous pour l’observer. Le visage impassible. Il retourna s’assoir pour refaire face au jeune homme.

« Mademoiselle Tanaka vous a donc insulté, et vous l’avez frappé plutôt violemment… Pour vous, cela semble être une réaction plutôt normale mais l’est-elle vraiment ? »

La réponse pour le maire était que non, surtout pas venant d’une personne ayant reçu le sérum. Néanmoins, Mr. Tanaka ne voulait pas tirer de conclusion hâtive et se disait que la personne en face de lui restait humaine.

« Pourquoi n’avez-vous pas ignoré la jeune femme et n’êtes-vous pas parti avant de signaler son comportement ? Cela aurait pu vous éviter d’éventuels soucis, vous ne pensez pas ? »

Tout ça n’était qu’un test, purement et simplement. Même si aucune décision ne serait prise aujourd’hui, il y en aurait certainement une de prise dans l’avenir. Rien n’était décidé à l’avance après tout, l’homme le savait très bien, mieux que quiconque.

Très attentivement, Mr. Tanaka écoutait les réponses que lui donnait Gregory, ne notant rien pour le moment pour ne pas inquiéter son rendez-vous. Néanmoins, il marquait tout dans un coin de sa tête pour l’écrire à la fin de l’entretien, le cas du jeune homme était aussi fascinant qu’inquiétant. Il faudra que le maire se mette en relation aussi bien avec le médecin qui suivait le postier qu’avec l’agent qui devait le suivre pour savoir ce qu’ils pensaient de lui. Pour être certains qu’il n’y avait pas de problèmes avec cette personne qui avait reçu le sérum. Il ne voulait pas que le calme de l’île soit plus troublé, il voulait que la ville retrouve son niveau zéro de criminalité.
Le maire ne laissa rien paraître à l’entente des paroles de son interlocuteur qui pensait qu’il ne savait rien de ce qu’il se passait en bas. Faux. Il se doutait de la vie qu’ils avaient tous, il se documentait auprès de ses employés ainsi que des agents.

« Vous avez l’air bien sûr de vous jeune homme, si votre situation ne vous convient pas, vous pouvez toujours demander des aides. Nous souhaitons le bien-être de tous les habitants, nous-même ne sommes pas à l’abris des problèmes donc nous comprenons bien plus que ce que vous pouvez imaginer. »

Il savait que si la paisibilité de l’île coulait, il pouvait couler avec, alors il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour l’éviter. L’homme hocha la tête en écoutant les excuses du plus jeune avant de poser ses mains entrelacées sur la table.

« Je ne vous ai pas convoqué ici pour avoir des excuses mais des explications pour essayer de comprendre votre geste mais elles sont les bienvenues. Avant de vous laisser partir, j’aurais encore une question à vous poser, est-ce que vous souffrez de certains maux ces derniers temps ? Comme des migraines, des douleurs musculaires ou autre ? »

Avec le temps, le maire avait appris à discerner le vrai du faux, il saurait si Gregory lui mentait à propos de sa santé.

Aucune expression ne passait sur ce visage rodé à ne rien montrer de ce qu’il ressentait. Mr. Tanaka avait l’habitude d’être confronté à des situations que l’on peut qualifier de délicate où chaque parole, chaque geste compte. Il adaptait son comportement selon les individus et il n’oubliait rien. Il n’oubliait pas l’insolence dont on pouvait parfois faire preuve à son sujet ou quand on s’en prenait à fille, surtout quand il s’agissait d’un ancien criminel. Certes, il considérait que tout le monde avait droit à une seconde chance si on s’en donne la peine mais il restait méfiant. Depuis quelques temps, il y avait une montée de la criminalité qui ne le rassurait pas même s’il n’en montrait rien. Il était donc inquiet pour sa fille mais surtout pour la sécurité de la ville. Ce havre de paix ne devrait pas être souillé aussi facilement.

« Vous avez du mordant Monsieur Kaneko, cela peut aussi bien être considéré comme une qualité qu’un défaut. Par ailleurs, détrompez-vous, cette discussion a bien mené quelque part. Je suppose juste que votre état ne vous permet pas de vous en rendre compte. »

Il soutint ensuite le regard de Gregory sans ciller jusqu’à ce que celui-ci se lève pour quitter le bureau. Il se leva à son tour lui offrant un sourire poli.

« Vous pouvez y aller, j’espère à dans longtemps Monsieur Kaneko. »

Il s’inclina puis le regarda partir avant de s’installer à son bureau et rapporter sur l’ordinateur l’entretien qu’il venait d’avoir. Par la suite, il regarda son travail qu’il avait enregistré au fur et à mesure puis continua le travail qu’il avait à faire pour Kyul et qu’il faisait toujours avec plaisir.