Depuis son retour sur l'île, la vie est comme qui dirait assez paisible, du moins pour un garagiste comme lui. C'est loin d'être la folie d'une ville comme Séoul ou la clientèle afflue à longueur de journée. Mais qu'importe, c'est un changement de vie. Tant pis s'il ne l'a pas vraiment décidé, que ce retour forcé à ses racines soit la faute du décès de son père. En tant que dernier membre de la famille, il devait venir pour remplir les papiers et il ne pouvait pas ne pas enterrer son père. C'est triste que cette mort soit arrivée si tôt. A cause de ça, le pauvre Ruki est désormais totalement seul. La vie est ainsi, il n'a plus quatre ans, il peut survivre sans parents, c'est juste le triste cycle de la vie.

Le jeune homme a donc ouvert son garage, c'est un excellent mécanicien, il aurait été dommage de laisser tomber son talent. C'est parfois très calme, mais au moins ça lui laisse le temps pour faire d'autres choses. L'avantage de son petit commerce, c'est que ça lui permet de rencontrer un peu de monde et de faire quelques connaissances. Mais c'est loin d'être des amitiés durables. Quoi qu'il en soit, il finira bien par avoir des amis, de ce côté-là, il ne s'inquiète pas trop. Par contre, sans vraiment savoir pourquoi, il a bien vu qu'une demoiselle à l'air de le fuir, de l'éviter... Pourquoi ? C'est la question qu'il se pose. Son simple regard indique la haine qu'elle a l'air de ressentir pour lui. Le problème, c'est qu'elle est une parfaite inconnue à ses yeux, une habitante qu'il a croisée, qui est déjà passé une fois au garage, mais c'est tout ! Alors, pourquoi tant de haine ? Est-ce sa tête qui ne lui revient pas ? Jusque-là, son physique n'a jamais dérangé qui que ce soit. Ce n'est pas son genre de se vanter, mais il est plutôt beau gosse. Sa tête doit lui rappeler un ex et du coup elle l'a pris en grippe ? Ruki a envie d’éclaircir tout ça, c'est pourquoi il a l'intention de lui parler.

Ses mains étaient plongées dans le moteur d'une voiture, le carburateur avait une fuite qui allait devoir être réparé. Sa peau était tachetée de noir, pleine d'huile et de cambouis, mais quand on est garagiste, on n'a pas peur de se salir. D'ailleurs, son bleu de travail était tout aussi sale. Le haut était noué autour de sa taille car il faisait trop chaud pour le revenir. Du coup, c'est son marcel blanc qui était crasseux, ce qui n'était pas bien grave. Alors, qu'il levait la tête pour attraper une clef à molette, il vit Yukari passer, cette fille qui ne l'aime pas. Le jeune homme hésita, puis finalement, il abandonna son moteur, attrapa un torchon déjà bien crasseux et se dépêcha de rattraper la jeune femme qui passait dans la rue. "Attends ! S'il te plait ! Yukari !" Peut-être qu'il aurait dû dire madame, ce n'est pas son amie, mais tant pis ! Au moins, c'est plus facile pour elle de savoir qu'il l'interpelle en prononçant son prénom plutôt qu'en énonçant un titre que toutes les femmes marchants dans cette rue ont. "Est-ce que tu as un moment ? J'aimerais bien te parler de quelques choses. Ça ne prendra pas longtemps !" Avec elle, il était familier, mais il est comme ça avec la plupart des gens. Ce n'est pas un manque de respect, c'est juste qu'il ne s'embarrasse pas de cette extrême politesse qu'il trouve très lourde. Ruki espérait qu'elle accepte de discuter avec lui, il peut même lui offrir à boire si ça peut la dérider un peu.

Un soupir sortit de ses lèvres lorsqu’elle passa la porte du casino pour partir. Elle avait perdu l’habitude du travail de nuit, venir en journée pour discuter avec le patron avant de rentrer pour ensuite revenir le soir, le moment où il y avait le plus de monde. Heureusement, elle avait bien repris le rythme mais elle ne s’y faisait pas à cette chaleur estivale qui contrastait avec la fraîcheur des bâtiments climatisés. Yukari regarda aux alentours avant de s’engager dans les rues de la ville avant de rejoindre son appartement, pendant tout le trajet, elle était perdue dans ses pensées. Elle se rappelait de tout ce qui s’était passé ces derniers temps, depuis l’arrestation de Jae Sun, son ancien patron. Son premier gros dossier en tant qu’AOA. Autant dire, qu’elle avait eu de mal à se remettre du fait qu’on lui retire, surtout parce qu’elle n’avait pas vu la dangerosité de l’individu. Elle avait peur d’avoir échoué en tant qu’agente, d’avoir déçu le maire, alors avoir le dossier de Fang Do Han, était une bonne chose pour elle. Elle faisait attention pour ne rien laisser passer et ne pas décevoir le maire mais, surtout, pour ne pas décevoir Sun Hae, Ryosuke et Clyde. Décevoir ses parents avait été suffisant pour le moment.
La jeune femme était tellement perdue dans ses pensées, qu’elle ne regardait pas où elle allait mais, surtout, elle ne vit pas la personne qui venait vers elle. Si elle l’avait vu, elle aurait marché beaucoup plus vite pour l’éviter. Elle ne voulait plus rien avoir à faire avec lui, Shin Ruki. Même s’il avait perdu ses souvenirs, qu’il ne se souvenait plus de ce qu’il avait fait, elle se rappelait de tout et ne pouvait s’empêcher de le fusiller du regard à chaque fois qu’elle le voyait. C’était plus fort qu’elle. Elle ne pouvait s’empêcher de le haïr mais elle s’arrêter pour savoir pourquoi il l’interpelait. D’un regard assez froid, elle l’observa des pieds à la tête pendant quelques secondes. Si elle n’avait pas eu cette mésaventure dans le passé avec lui, elle l’aurait certainement trouvé plutôt séduisant avec ce bleu de travail salit mais surtout avec ce marcel qui laissait entrapercevoir sa musculature. Tout pour faire fondre une femme.

« Ruki… »

Ce n’était qu’un murmure alors que son regard était assez froid. Elle soupira légèrement alors qu’elle réfléchissait à ce qu’elle pouvait lui répondre. Elle voulait refuser mais sa curiosité l’en empêchait puisqu’elle voulait savoir de quoi il voulait lui parler. Se souvenait-il de quelque chose ? Non, impossible, le sérum faisait effet, elle le voyait à son bleu de travail mais aussi par l’éclat dans ses yeux. Il n’avait rien à voir avec cette faille dont le maire avait pu leur parler.

« J’ai un peu de temps devant moi pour parler oui, on va dans un café ? Je t’attends si jamais tu souhaites te changer. »

Son ton était tout sauf amical et montrait qu’elle ne faisait pas cela par gaieté de cœur. Néanmoins, le jeune homme pouvait aussi compter sur le fait que Yukari n’avait qu’une seule parole et qu’elle ne tenterait pas de partir pendant qu’il se changeait. Elle n’avait pas l’intention de parler dans le garage, ni dans un endroit où il serait que tous les deux. Elle ne voulait surtout pas se retrouver seule à seule avec lui, elle n’avait pas vraiment confiance. De ce fait, un café, c’était plutôt un bon compromis comme endroit. Il y aurait du monde mais aussi des places assez à l’écart pour pouvoir parler tout en conservant de l’intimité. Dans l’esprit de la jeune femme, c’était le café ou rien.

A peine l'avait-il interpellé que quand elle se retourna vers lui pour voir qui osait la déranger, il remarqua ce même regard. Ce regard qu'elle lui lance à chaque fois qu'elle le voit, remplie d'animosité, totalement froid et parfois même méprisant. Ceci le dérangeait, il ignorait pourquoi elle le détestait. Car ça ne pouvait être que ça, sinon à quoi bon regarder les gens de la sorte. Ruki aurait pu lui demander directement pourquoi elle était si froide, mais il ne voulait pas envenimer les choses qui étaient déjà bien assez tendu entre eux. Alors, il expliqua qu'il voulait lui parler de quelque chose, ça lui semblait assez important pour que le sujet soit enfin abordé. Non pas que ça le dérange qu'on la haïsse, mais s'il peut savoir pour quel motif, ça l'arrange. La jeune femme accepta, mais avec des conditions. Il fit presque un peu la moue, c'est qu'il n'a pas forcément le temps d'aller au café, mais il faut savoir faire des sacrifices. "Ça marche ! Laisse-moi juste me laver les mains et les bras et j'arrive." Juste après, il retourne dans son garage et va au lavabos pour commencer à faire le nettoyage dont il avait parlé. Il ne lésine pas sur la tonne de savon et frotte comme le ferait des chirurgiens justes avant d'entrer dans un bloc opératoire. Son produit est de bonne qualité, cher, mais ça fait plutôt bien partir les traces de cambouis qu'il peut avoir sur la peau. En un peu plus de cinq minutes, ses mains et ses bras sont propres. Il juge son uniforme assez "propre" pour aller dans un café. Certes, il y a quelques tâches, mais elles sont anciennes et même avec le lavage elles restent. Sa peau et ses vêtements ne sentent pas trop la mécanique auto, donc ça devrait aller.

Après avoir fermé le garage et laissé un mot comme quoi il revenait bientôt, il retrouva Yukari qui l'attendait. Elle n'était pas partie, c'était déjà bon signe. "Désolé pour l'attente. Si tu veux, il y a un café à quelques rues d'ici..." Il propose simplement, mais dans l'idée c'est elle qui aura le dernier mot. Vu comment elle le regarde, il n'a pas envie de la contrarier et ainsi perdre sa chance de lui parler. Silencieusement, il suit la jeune femme jusqu'à l'endroit de son choix. Quelques clients sont à l'intérieur, ce n'est pas trop bruyant, l'endroit parfait pour discuter. Un serveur leur saute presque tout de suite dessus pour prendre leur commande. Ruki se contentera d'un soda histoire de se rafraichir un peu. Une fois l'employé parti, il se décida à parler. "J'aimerais savoir quelque chose... Pourquoi est-ce que tu as l'air de me détester autant ? Tu me lances toujours ce regard froid," explique-t-il tout en tentant d'imiter le fameux regard de Yukari. "J'aimerais savoir ce que je t'ai fait ? Parce que honnêtement, je t'ai jamais rien fait de mal. Alors, pourquoi autant de haine ?" Ruki était prêt à l'entendre crier ou même à se prendre une claque. Quoi qu'il arrive, il aimerait avoir une réponse pour qu'il puisse enfin comprendre.

Même si Ruki avait changé, même si Yukari avait qu’il ne se souvenait pas de leur passé commun, elle ne pouvait s’empêcher de lui en vouloir et d’être froide avec lui. Certes, la jeune femme n’avait pas la rancune facile mais cela dépendait des personnes et de ce qu’elles lui avaient fait. Les conséquences de l’arnaque du jeune homme l’avait éloignée de sa famille à un point de non-retour. Il avait causé sa descente aux enfers et même si le sérum l’avait transformé, elle se souvenait bien des ennuis qu’il lui avait causé. C’est pour cette raison que lorsqu’il l’avait accostée, elle avait été plutôt autoritaire, ne lui laissant pas le choix du lieu où parler. Elle n’avait pas envie d’être avec lui dans un endroit plus intime, elle avait peur de se retrouver seule avec lui, elle avait peur de se faire avoir une nouvelle fois. Après tout, des criminels retrouvaient leur mémoire, il pouvait en faire partie. Cette éventualité n’était pas exclue. Elle hocha simplement la tête lorsqu’il lui demanda d’attendre, elle comprenait qu’il veuille se débarrasser des traces de cambouis sur ses bras et sur ses mains.
Alors qu’elle attendait, elle ne pouvait s’empêcher de se triturer les ongles en faisant quand même attention à ne pas les casser. Elle appréhendait vraiment cet entretien et faisait tout pour ne pas le montrer, elle portait son masque. Ce masque qu’elle avait toujours l’habitude de mettre pour éviter de trop montrer ses émotions. Ce masque qu’elle prit en voyant le jeune homme revenir vers elle alors que ses mains rejoignaient les poches de son jean.

« Ne t’inquiète pas, je n’ai pas trop attendu… Allons au café, où est-ce qu’il se trouve ? »

Certes, elle n’avait pas forcément envie de le suivre mais elle faisait un effort pour se montrer plus ou moins agréable. Lorsqu’il lui indiqua l’emplacement du lieu, elle y alla, Ruki sur les talons en essayant de ne pas se retourner pour voir s’il suivait ou non. En voyant le monde qu’il y avait, elle hocha simplement la tête avant de donner sa commande au serveur. Un caramel Macchiato glacé tout simplement. Elle préférait quelque chose de frais pour se rafraichir et un café parce qu’elle aimait en boire tout simplement.
Le serveur partit, la jeune reposa son regard sur son interlocuteur. Elle écouta sa première question en arquant un sourcil lorsqu’il essaya d’imiter le regard dont il parlait. Si elle n’avait pas été AOA, si elle ne savait pas sur le sérum, elle se serait offusquait, l’aurait baffé certainement avant de lui dire toute la vérité. Ou plutôt, lui cracher tout la vérité. Elle aurait certainement perdu son calme, elle n’aurait pas réfléchi à ce qu’elle pourrait lui répondre. Alors qu’elle ouvrit la bouche pour parler, le serveur vint apporter les boissons et ce fut seulement quand il partit que Yukari pu répondre.

« Je dirais simplement que tu me rappelles une personne que je préfère oublier. C’est beaucoup plus compliqué qu’une histoire d’avoir fait quelque chose… Tu ne peux pas savoir à quel point. »

Bien sûr qu’il ne pouvait se souvenir de ce qu’il lui avait fait subir par le passé, elle le savait mais elle n’arrivait pas à agir autrement en sa présence. Elle avait peur de souffrir à nouveau…

« Je peux savoir pourquoi tu tiens tellement à connaître la raison pour laquelle je suis froide avec toi ? Après tout, il aurait pu s’agir de mon caractère, non ? »

Tout en commençant à boire son café, elle arqua un sourcil en attendant la réponse. Est-ce que le sérum fonctionnait vraiment bien sur lui ?

Parler avec Yukari était important, savoir qu'elle a l'air de le détester sans aucune raison apparente est quelque peu gênant. S'il a fait quelque chose de mal, il aimerait savoir au moins quoi, histoire de s'endormir moins bête chaque nuit. Il avait donc sauté sur l'occasion en la voyant passer. C'est pour ça qu'il se retrouvait à présent dans ce café pour discuter avec elle. Ruki se doutait que ça n'allait pas être évident et qu'il n'allait surement pas comprendre les raisons de la jeune femme. Il faut dire que le sexe opposé est parfois très compliqué. Alors, qui sait quelle dent elle peut bien avoir contre lui ? Peut-être qu'à chaque fois qu'elle le croise elle est simplement dans la mauvaise période du moins ce qui expliquerait son comportement... Sauf que ce genre de choses ne dure que quelques jours... Alors, l'explication du cadeau mensuel de mère nature ne lui semble pas viable. Il y a forcément quelque chose de plus prévis, qui expliquera le fait qu'elle a l'air de le détester et de le mépriser autant.

Installé à une table, il avait commandé un soda juste avant de poser la première question. A présent, il ne lui reste plus qu'à attendre les explications en espérant qu'elle ne cherche pas à mentir. La demoiselle débuta sa réponse et il était presque sidéré d'apprendre qu'il prenait tout ça dans la gueule à cause de quelqu'un qu'il lui rappelle. Merde, est-ce que c'est sa faute à lui ? C'était une autre personne, lui n'a jamais demandé à lui rappeler ce type. D'après ce qu'elle disait c'était compliqué, mais elle ne va pas s'en tirer aussi facilement, avec une explication à deux balles. Il veut la vérité, une vraie raison et pour l'heure, il ne lui a jamais rien fait de mal, non ? "Désolé de te dire ça, mais c'est une réaction vachement puérile, non ? J'y peux rien si je te rappelle cette personne ! Mais tu ne devrais pas me confondre avec elle, moi je t'ai rien fait ! Je mérite des explications un peu plus poussé, tu crois pas ?" Hors de question qu'elle s'en sorte aussi facilement. Il veut des réponses et il les obtiendra, c'est qu'il peut être tenace quand il veut.

Le serveur avait apporté les commandes, Ruki commença alors à jouer avec son verre, faisant tourner le glaçon pour refroidir davantage sa boisson tout en écoutant Yukari. Un léger rire lui échappa quand elle demanda pourquoi il voulait savoir tout ça. Pour un peu, elle le prenait même pour un con en disant que ça pouvait être son caractère. "Je suis peut-être pas le mec le plus intelligent du monde, mais ne me prend pas pour plus bête que je ne suis. Ça me parait logique de savoir ce qui ne va pas ? Tu as l'air de me détester, alors que je ne te connais à peine. C'est mon droit de savoir pourquoi ? Et si j'ai dit quelque chose de mal ou quoi que ce soit d'autre sans le savoir, j'ai le droit de... je sais pas... pouvoir me racheter, m'excuser ?" Ruki avait expliqué ça simplement et d'une voix normale, pas le moins du monde agressive. Tout ce qu'il souhaite c'est la vérité, c'est simple ! "Je ne dis pas que je veux devenir ton ami. Je veux juste que ça se passe bien et que tu cesses de m'observer avec ce regard haineux. Je suis de retour ici depuis pas longtemps et ce n'est pas forcément facile. Alors, j'aimerais que ça se passe bien avec les gens de l'île." Le pauvre, il ignore ce qu'il a fait, même s'il a parfois la sensation que sa vie lui échappe, qu'elle ne devrait pas être ainsi. Mais comment pourrait-il deviner qu'on lui a fait oublier sa vraie vie pour lui en inventer une autre afin qu'il suive le droit chemin.