Sujet: Le début de la première fin Mer 1 Nov - 12:25 | |
| La main tombe, légère, comme un membre d’une marionnette dont on aurait coupé les fils. Un dernier spasme agite les doigts avant qu’ils ne se figent, pour ne plus jamais bouger. Les yeux marrons qui me fixaient se ferment doucement, un léger sourire sur les lèvres de la jeune femme. Sa poitrine se soulève une fois, s’abaisse. Se soulève, s’abaisse. Se soulève… S’abaisse… Ne se relève pas. Je sourie et me relève, époussetant mon pantalon et étirant mes jambes. Je suis resté accroupi longtemps, à guider Hae Jeen, à l’encourager, jusqu’à ce qu’elle plante enfin son couteau dans sa poitrine. Je n’ai pas voulu l’aider à appuyer, cette fois, le souvenir de la lame de rasoir de Byul encore trop présent dans mon esprit. Je ne suis normalement pas du style à agir, mon rôle est de les guider sur le chemin de la paix, rien d’autre. Je ne suis pas censé les toucher, toucher leurs armes. Alors que je me dirige vers la porte d’entrée de l’appartement de ma nouvelle victime, une ombre s’agite dans la périphérie de mon regard. Je me fige et me tourne vers la fenêtre sur ma gauche mais rien. A part une fenêtre ouverte et un rideau qui danse au vent. Je hausse les épaules, sûrement le mouvement du tissu qui m’a surpris, rien d’autre. J’ouvre la porte et m’en vais, sans un regard pour la morte, sur son canapé. Il fait de plus en plus froid, dehors, surtout après dix heures du soir. Le soleil est couché depuis presque cinq heures, maintenant, les lampadaires sont allumés et je marche tranquillement, les mains dans les poches de ma veste en jean. Je ne peux m’empêcher de me souvenir de Daegu, les soirs où je rentrais chez moi, un studio plutôt miteux, après avoir passé la journée à la pâtisserie. Busan et mes années de lycée, alors que je rentrais au domicile familial, profitant des derniers rayons de soleil, de la chaleur ambiante avant de rentrer dans cette maison qui me glaçait toujours le sang, me donnait envie de me blottir contre un radiateur, pour me réchauffer. Je ferme les yeux et soupire avant de les rouvrir. Jamais je ne me suis autant accroché à mon passé qu’après avoir manqué le perdre, en arrivant ainsi. Je quitte la rue principale sur laquelle j’ai débouchée pour m’engager dans une rue plus petite, moins fréquentée, qui m’amènera directement chez– je m’arrête. Je n’ai pas fait attention au chemin que j‘empruntais mais je savais où j’allais. Chez Sun Hae. De là où je suis, je peux voir son immeuble. Mes pas m’ont amené jusque chez elle sans que je ne le prévoie et surtout sans que je ne vois le chemin s’étaler devant moi. Plongé dans mes pensées, je n’ai pas vu le temps passer et les mètres se faire avaler. Mais il faut dire que la pâtisserie est plus éloignée du domicile de Hae Jeen que de chez Sun Hae. Mon employée. Ou peut-être plus. Je ne sais plus. Je ne veux pas savoir. J’ai peur de la vérité. Je ne peux pas lui demander ou espérer plus. Un objet dur et froid appuie sur mon crâne et je me fige, ma respiration se coupant alors qu’une voix envahit tout mon monde. « Ne bouge plus, meurtrier. » Mes bras se lèvent lentement, mains ouvertes, paumes vers l’avant, en signe de défaite. « C’est ça, connard, sois un bon gentil petit toutou pendant que j’appelle la police. » L’homme derrière moi rit et j’entends des bruits de tissu, la pression de l’objet sur mon crâne – sûrement un pistolet – se faisant moins forte. Je réalise à peine ce qui se passe, une seule chose tournant en rond dans mon esprit. Sun Hae. Si proche… Elle ne doit pas savoir. Elle ne doit pas savoir comment je suis, elle ne doit pas savoir ce que je fais, elle ne doit pas me voir comme ça, elle ne doit pas me haïr. Si elle me haït, elle voudra s’en aller, elle me fuira et je refuse de laisser ça arriver. Jamais. Il n’y a que moi qui peut l’avoir. L’arme cesse de presser contre mon crâne et je me tourne, mes mains attrapant l’arme en même temps et un coup part, effleurant mon épaule droite. J’inspire brutalement sous la douleur, reculant et gardant ma prise assurée sur le pistolet, son propriétaire reculant, l’air choqué. Savait-il au moins que son arme était chargée ? Je n’ai pas le temps d’essayer de savoir, je pointe l’arme sur l’homme qui lève automatiquement les bras, son portable tombant au sol, lâché sous le choc. Le coup de feu a résonné dans la rue, des gens vont sans doute finir par sortir, il faut que j’agisse vite. « Je suis désolé, ce n’était pas prévu. Mais elle ne doit pas savoir, elle ne doit pas me voir comme ça. Elle ne doit pas me haïr. Pas elle. » Une larme roule sur ma joue alors que j’enlève le cran de sécurité et tire, une seule fois, visant le cou. La balle traverse sa boîte crânienne au niveau du nez et je détourne le regard en voyant des morceaux de chair et d’os voler. Je suis incapable de regarder le corps, pas si tôt, pas juste après avoir tiré. Je ne tue pas ainsi, habituellement, je suis plutôt du style à regarder les gens se tuer. Pas à provoquer leur mort aussi activement. Un frisson me parcourt alors que je repense à mes deux victimes, avant Hae Jeen. La salope que j’ai presque violée. Yoo Hwan que j’ai écrasé au sol. Depuis quand suis-je devenu comme ça ? Depuis que j’ai aidé Byul. Un nouveau frisson me parcourt et je retiens un sanglot. Je n’étais pas comme ça, avant. Mais je sais très bien que je ne vais pas bien, que j’ai un problème. Je l’ai toujours su, surtout depuis le jour où j’ai tué mon père. Mais là, à cet instant, si proche du domicile de la seule personne qui me donne envie d’être normal, je me rends compte combien je suis malade mentalement. Je vais lui faire du mal. Il faut que je m’en aille. Je ne peux pas lui demander de me couvrir plus longtemps, elle n’a pas à assumer les conséquences de mes actes. Pas elle. Je l’aime trop pour lui imposer ça. Mes doigts lâchent l’arme qui tombe au sol et je me dirige vers le mur le plus proche m’appuyant dessus pour remonter la rue, ou du moins essayer. Mes jambes cessent soudainement de me porter et je m’écroule au sol, mes yeux se fermant. Je les ouvre en entendant des pas précipités, dans mon dos. Sans réfléchir, je me retourne, une autre larme coulant en prononçant le prénom de la seule personne que je redoutais voir arriver : « Sun Hae... » Elle va enfin voir le monstre que je suis. Elle va me haïr.
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