Si nous sommes réunis en ce triste jour, c’est pour partager une dernière pensée en l’honneur de Wu Mie Xia qui fut pour certains un ami, pour d’autres un frère et même pour certains, un homme original qui savait remonter le moral aux âmes perdues.

Comme nous le savons tous « Le jardin de ce monde ne fleurit que pour un temps », et il a pour certains une floraison étincelante et magnifique, qui malheureusement dure peu. Ainsi était le jardin de celui qu’on se plaisait à appeler Mie, toujours explosif voir agressif pour les yeux, mais dans le même temps tellement unique.

Et le jour est venu pour nous, et en ce lieu, de rendre un ultime hommage à cette personne formidable que tu étais et que tu es, Mie Xia.

J'ose parfois parler au présent, car tu es et resteras dans nos cœurs, jusqu'au jour où nous devrons à notre tour rendre le dernier soupir et laisser notre jardin se faner à jamais.

Tu n’as pas commencé facilement la vie, ta mère t’a abandonné anonymement dans un orphelinat de Kitakyûshû. Mais dans ton malheur, tu as eu la chance de rencontrer la famille Wu qui t’a adoptée alors que tu vivais depuis neuf petites semaines. Tu as grandi heureux à Hong Kong entouré de ton frère aîné avec qui tu adorais faire les quatre cents coups, de ta petite sœur également adoptée que tu voulais toujours protéger et qui était ta petite poupée chérie. Tu avais toujours des amis et tu n’as jamais eu de problèmes avec les autres enfants, tu étais même considéré comme un des plus mignons des garçons de tes cinq ans à tes onze ans. Sportif ? Oui tu l’étais, tu as commencé par faire de la danse, jusqu’à ce qu’un garçon te fasse remarquer qu’il s’agissait d’un sport de fille. Alors tu as arrêté et tu as commencé le Kung fu. Pour ceux qui te connaissent, il est encore difficile de t’imaginer porter un kimono et donner des coups de pieds quand on se souvient de ton style vestimentaire.

Ah oui, tu rendais tes parents fiers. Ta mère adoptive, la douce Yu Yin se rappellera toujours du jour où après t’avoir demandé si tu étais triste de ne pas connaître tes vrais parents, tu lui répondis avec tout l’aplomb qu’un bambin de six ans pouvait avoir : « C’est vous mes parents ! Les autres ont pas voulu de moi alors je veux pas d’eux. C’est vous que j’aime ! »

Et oui, un jour toi aussi tu as été tout mignon avec des joues rondes et deux incisives en moins !

Puis la maladie est arrivée dans ta vie alors que tu n’avais que huit ans. Pour t’avoir changé autant, pour t’avoir fait mûrir si vite, beaucoup de ton entourage t’ayant connu enfant puis adulte se sont demandé s’il ne s’agissait pas d’un cancer. Te connaissant, tu aurais sans doute préféré cela à cette maladie héréditaire incurable à l’évolution incertaine, une rétinite pigmentaire.

Une maladie qui finira par te rendre quasiment aveugle.

Tu n’as pas bien pris la nouvelle, et même en ayant rencontré des personnes atteintes de maux beaucoup plus graves et handicapants, tu ne t’es jamais départi de ce stress et cette peur de n’être plus capable de voir ta propre famille et tes amis. Cette peur -que dis-je, terreur- te fera d’ailleurs évoluer vite. Du petit garçon ordinaire, tu deviendras plus turbulent, curieux, tu te posais de plus en plus de questions et tu étais parfois sarcastique. Mais cela n’empêcha pas ta famille de t’aimer, et pour ne pas leur faire de peine, tu fis croire que tu étais heureux, que tu acceptais la fatalité avec ce sourire qui t’étais propre.

Tu as commencé à changer Mie, tu commenças les piercings et les colorations. Mais dans un pays comme Hong Kong, un jeune homme de quinze ans aux cheveux violets et au visage troué, ça n’est pas toujours bien vu. Mais tu pris le parti d’aller jusqu’au bout et de faire de ton activité favorite, ton métier, tu choisiras de devenir maquilleur professionnel. Tu étais doué, très doué même, personne ne maniait le crayon à sourcils comme toi.
Malheureusement, à Hong Kong, il n’y avait pas la place pour laisser tes envies et tes capacités se développer, alors après moults réflexions tu es parti à Aikoyangi à vingt-six ans. Ce fut déchirant pour tes parents mais il fallait bien couper le cordon un jour n’est-ce pas ?

Tu appelais souvent, tu avais l’air heureux dans cette ville, ta famille a toujours cru que tu t’épanouissais sur cette île sans criminalité. Tu avais même entrepris de chercher ta famille biologique, car tu disais que tu ressentais ce besoin d’en savoir plus sur toi-même.

Tu cachas si bien ton jeu que personne ne vit ta fin se profiler.

Tu n’as jamais été une personne qui livre ses vrais sentiments facilement, et tu as joué la comédie pendant longtemps. Je n’ose imaginer ta douleur de devoir mentir à ta mère, ton père, ton frère et ta sœur quand ils te demandaient ce que tu prévoyais comme avenir. Tu les aimais tellement que tu ne pouvais t’ouvrir à eux sur ton projet de mettre fin à tes jours une fois que tu ne pourrais plus distinguer quoi que ce soit, que tu devrais être un « assisté » selon les mots de ton journal. Tu ne voulais pas inspirer la pitié, et surtout, tu ne voulais pas accepter ce « cadeau empoisonné » offert si gracieusement par tes parents biologiques, ceux-là même qui avaient décidé de t’abandonner à peine étais-tu né.

Beaucoup ont condamné ton geste tu sais ? On t’a traité d’égoïste, de fils indigne, de couard et j’en passe. Mais moi, jamais je ne me permettrais de te juger mon ami.

Je me demande souvent comment as-tu pu supporter tout ça sur tes épaules. Je me sens même coupable de ne pas avoir su voir les signes. Aujourd’hui je les vois, je les entends et je me blâme. Oh nous savons tous que tu ne voudrais pas que nous nous mettions à nous remettre en question, tu nous dirais qu’il s’agissait de ta décision. Néanmoins, nous n’avons pas pu t’aider, t’en empêcher ou même t’épauler si vraiment ton désir était d’en finir.

Non, nous n’avons pas su.

Alors même que parfois tu nous disais cette phrase au détour d’une conversation philosophique sur la vie et la mort :

« Le suicide c'est la ressource des hommes dont le ressort a été rongé par la rouille. »

Quand tu la citais, je voyais alors dans tes yeux cette lueur, une flamme que je ne savais identifier à ce moment-là. Je souriais et tu me souriais à ton tour. Il n'y avait que peu de paroles, mais les sentiments étaient bien présents, des sentiments d'affection, des sentiments de joie, comme de tristesse. Une tristesse enracinée qu’aucun d’entre nous n’a pu voir et nous nous en sentons tous que plus anéantis.

Car oui, tu es une personne qui nous était et nous est chère, et tu nous manqueras. Toi, qui a toujours su écouter nos plaintes et nous recadrer quand il le fallait, qui a toujours souris même s’il s’agissait de sarcasme la plupart du temps, même lorsque les moments étaient difficiles, tu as toujours réussi à faire passer les autres, avant toi. Jamais tu ne t'es plaint de ta condition, seul ton journal savait tout ce que tu avais sur ton cœur. Ton air un peu fou était ta marque de fabrique, tu te fichais bien de ce que pensais les autres sur ton accoutrement ; et en cela tu es un exemple pour nous tous, nous pauvres hommes qui nous nous plaignons sans cesse pour un rien. Les derniers moments ont été super, tu nous as couverts de cadeau et d’attention. Ta façon de nous dire au revoir sans nous attrister. Et ça, je ne l'oublierai jamais Mie.

Tu n'es pas mort, tu as simplement arrêté de vivre lorsque tu n’eus plus ton ange près de toi. La chose simplement arriva, comme la nuit se fait lorsque s’en va le jour, quelques médicaments et de l’eau pour un repos éternel. Délivrance, enfin, on te rendait ta liberté, toi qui ne demandais qu'à partir, ne plus souffrir de ce cœur trop lourd même pour toi qui était si fort.

Tu vas désormais rejoindre la lumière et l'éternité, car oui, un jour une personne qui m'est chère m'a dit que l'on ne partait pas tout de suite, que l'on restait quelques temps avant le grand voyage. Ainsi je me plais à m'imaginer que tu es là, auprès de nous et que tu vois à quel point tu es une personne précieuse pour nous tous.

Je te remercie pour ce que tu es, une personne juste, attentionnée même s’il faut creuser pour le découvrir, généreuse, gentille avec ceux que tu aimes vraiment... Et j'en passe.

Ton altruisme m'a ébloui ; tu vivais pour les autres plus que pour toi parce que tu savais que ton chemin finirait bien plus tôt que celui des autres. Alors tu donnais ce que tu pouvais à tes vrais amis et proches afin de remplir leur cœur et tenter de les rendre heureux, même si beaucoup n’ont malheureusement pas su voir tout ce que tu offrais.

Ne pleurons donc pas de t'avoir perdu, mais réjouissons-nous de t'avoir connu...

Ainsi je ne te dis pas au revoir, mais à bientôt.

Bon voyage à toi.

Mie Xia referma son journal, vérifia l’heure et remarqua qu’il était temps d’aller travailler. Il se leva, prit le temps de réfléchir, rouvrit le carnet et arracha les pages dernièrement noircies avant de les froisser et les jeter à la corbeille.

« Jamais personne ne dira ça de toi mon pauvre ami. Tu vas mourir comme tu auras vécu, jugé par beaucoup. Estime toi heureux si rien qu’une personne apporte des fleurs. »

Sur cette cynique pensée, il partit de son appartement avec son matériel.

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Bon jeu à toi !