C'est l'histoire d'une gamine qui voulait être remarquée un peu plus. L'histoire d'une gamine qui voulait être écoutée un peu plus. L'histoire d'une gamine qui voulait un peu plus d'attention, un peu plus d'affection.

C'est l'histoire de Kiran.

Kiran, c'était la gamine toujours laissée de côté. La gamine dont on ne prenait pas le temps de s'occuper. Personne ne s'occupait d'elle. Parce qu'on avait pas de temps pour elle. Ses parents étaient plongés dans leur travail respectif, jamais là, toujours en voyage d'affaire, toujours dans un autre pays, toujours trop loin du Japon. On peut le dire, Kiran a grandit sans ses parents. C'était une nourrice qui s'occupait plus ou moins d'elle. Qui essayait de lui donner un peu d'affection.

Au départ ça allait, c'était suffisant pour la petite Kiran qui grandissait et qui s'intéressait à tout et rien. Particulièrement la nature. La petite blonde, parce qu'elle a hérité des cheveux de sa mère ce qui est assez rare pour le souligner, aimait s'asseoir sur le pas de la porte d'entrée, devant le jardin. Pour regarder tout ce petit monde qui s'agitait devant son nez. ça pouvait être un papillon virevoltant de fleurs en fleurs, une abeille butinant le pollen  ou même un araignée tissant sa toile, elle aimait la vie dans son petit jardin. Et les fleurs aussi. Kiran aimait cueillir les fleurs et composer des bouquets pour sa maman, quand elle reviendrait de ses innombrables voyages.

Elle n'est jamais revenue. Elle devait revenir mais le destin en a décidé autrement. Tragique destin qui a conduit cette femme a mourir dans un crash d'avion alors qu'elle était en route pour le Japon. Pour revoir sa fille comme elle avait l'habitude tous les trois mois. Elle n'est jamais revenue. Elle ne reverra jamais sa fille. Kiran, 9 ans venait de perdre sa mère. Les bouquets de fleurs ont fini par mourir eux aussi, et la passion de la blonde partait avec.

Son père ne reviendra pas non plus. Mais pour une toute autre raison, depuis longtemps il avait refait sa vie ailleurs. Avec une autre femme et un autre garçon. Il avait complètement oublié Kiran. Kiran qui ne se remettait pas de la mort de sa mère. Kiran qui était complètement abandonnée de tous. Kiran qui se refermait sur elle-même. Kiran qui n'avait plus goût à la vie. Restant enfermée pendant des heures dans sa chambre, à ne rien faire. Plus personne n'était là pour elle. C'est ce qu'elle pensait. Les seules fois où elle mettait le nez dehors, c'était quand le ciel annonçait des couleurs orageuses. Quand il pleuvait. Comme si elle laissait le ciel pleurer sa tristesse à sa place. Être dehors et sentir glisser les gouttes de pluie sur sa peau, sur ses cheveux, comme si ça la revigorait un peu.

Et puis, il a débarqué dans sa vie. Un jour de pluie, il s'est approché de Kiran et il lui a demandé si elle voulait jouer avec lui. Kiran, en pleine période de crise d'adolescence, avait 15 ans à ce moment-là. Lui, il était un peu plus vieux, 17 ans. Kiran elle réfléchissait pas, elle voulait plus réfléchir, alors elle se laissa embarquer par cet étrange inconnu. Il la tirait par le bras, dans un endroit meilleur. Et ils jouèrent toute la journée. A des jeux d'enfant. A des jeux d'adultes. Et ils discutèrent. Et ils consommèrent. Kiran, elle se promettait alors de jamais oublier son prénom. Shoji qu'il s'appelait. Kiran, elle l'aimait beaucoup. Kiran elle riait avec Shoji qui riait aussi. ça faisait longtemps qu'elle n'avait plus ri.

Depuis ce jour, elle ne sortait plus seulement les jours de pluie. Tous les après-midi, elle partait en vadrouille avec Shoji. Shojji qui l'emmenait n'importe où, toujours plus loin, toujours plus de découvertes. Et ils grandissaient ensemble. Et ils étaient heureux, juste les deux, seulement à deux. Shoji il aimait beaucoup Kiran. Il aimait son sourire. Il aimait quand elle riait. Il aimait la blondeur de ses cheveux qui ne la quittait pas. Il l'appelait "my sunshine", parce que c'est vrai, c'était son soleil. Il l'aimait avec ou sans cannabis dans les veines. Parce que Shoji vendait et consommait beaucoup. Kiran avait voulu essayé. ça plaisait à moitié au garçon,  mais il la laissa faire. Kiran avait fini par en fumer de temps en temps. Elle aimait ça mais sans plus.

Ce qui était sûr, c'est qu'elle l'aimait Shoji. Et les sentiments étaient fortement partagés. Ils avaient fini par coucher ensemble. Une fois, deux fois, trois fois. Elle l'aimait, il l'aimait, c'était bien comme ça.  Et Kiran avait enfin ce qu'elle voulait avec Shoji : de l'attention et de l'amour. ça lui allait, c'était bien comme ça.

Oui mais voilà, il fallait toujours ajouter un point noir au tableau. Shoji avait un frère, Jiro, qu'il emmenait parfois  quand il voulait voir Kiran. Jiro était différent de son frère, plus brutal, plus mesquin, plus imbu de sa personne. Kiran ne l'aimait pas tant que ça, surtout qu'il essayait de se rapprocher d'elle avec des manière douteuses. Shoji n'aimait pas trop ça non plus mais il laissait faire, se contentant d'agripper Kiran par la taille pour la ramener contre lui quand ça arrivait. Peut-être aurait-il dû en faire davantage.

Un jour ça a dégénéré. Ils étaient tous les trois réunis dans leur endroit habituel. Chaude nuit d'été que ce soir-là. Shoji décida d'aller chercher des rafraîchissements dans un petit combini pas très loin. Il n'en avait pas pour très longtemps mais Kiran n'était quand même pas très rassurée de rester avec Jiro. Et elle avait raison, il se rapprochait encore. Kiran se retrouvait bien vite bloquée contre un mur alors que Jiro voulait la sauter comme il le disait si bien. "Shoji te prends juste pour une salope de plus." C'était faux, Kiran elle le savait, Shoji c'était son âme-sœur. Et cette remarque lui restait en travers de la gorge. Kiran elle réfléchissait pas longtemps. Surtout que sa main toute sale se glissait sous sa jupe. Il voulait la toucher, la sauter. Non.  Elle sortait le couteau-suisse que Shoji lui avait offert pour se protéger. Et elle le planta une fois. Deux fois. Trois fois. Quatre fois. Huit fois en tout.

Agenouillée devant le corps de Jiro, tâchée de sang, flaque écarlate autour d'elle. Aucun remord. Aucun regret. Aucune larme. Comme si elle avait pris plaisir à le tuer. Shoji avait vu toute la scène au loin, il était resté de marbre. Il ne savait pas quoi faire. Son soleil avait commis un meurtre et il n'y pouvait rien. Comme si le ciel avait eu vent de ce funeste destin, il s'était mis à pleuvoir tout d'un coup. Alors Shoji lâcha les sacs et vînt enlacer Kiran sous la pluie.

C'était la dernière fois qu'elle le voyait.

Par la suite,la justice n'avait aucun mal à déclarer Kiran coupable de ce meurtre. Elle se retrouva alors en prison pendant seulement quelques mois et pour cause : Kiran avait rapidement pété un câble et tué sa compagne de cellule qui avait dit du mal de Shoji. Parce qu'il ne fallait pas dire du mal de Shoji. Rapidement, on l'étiqueta de folle furieuse, bonne à être internée. C'était un peu vrai, ce trop long séjour en prison n'avait pas fait du bien au mental de Kiran. Mais l'Etat japonais savait comment se débarasser de ses plaies de la société.

On l'envoya à Aikoyangi. C'était là-bas que le sérum lui fut administré. Même si elle ne se débattait pas, on l'attachait quand même sur la table et on lui piqua le bras rapidement. Alors toute la vie de Kiran s'effaça. Elle oublia sa défunte mère, son père, sa nourrice. Elle oublia son crime. Elle oublia Shoji complètement.

C'est l'histoire d'une gamine heureuse. C'est l'histoire de Kiran.

Kiran vivait maintenant sa petite vie de fleuriste sans grande histoire sur Aikoyangi. Orpheline, c'est une tante qui l'a élevé sur l'île et lui a transmis la passion pour la nature  ainsi que la relève de son petit magasin de fleurs. Kiran, elle était heureuse comme ça.

Sauf les jours de pluie où elle se sentait toujours un peu mélancolique et triste sans savoir pourquoi. Manquait-il quelque chose à sa vie...?

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