Winchester, en Virginie.
Le quartier était plongé dans le noir. Tous les habitants étaient à l'intérieur, certainement enroulés dans leurs couettes les plus épaisses pour pallier le froid glacial qui avait pris d'assaut tout le pays. Les quelques lampadaires qui ornaient les trottoirs disparaissaient petit à petit derrière le brouillard qui s'abattait sur la ville. La neige avait cessé de tomber depuis quelques heures maintenant, hors cela n'empêchait pas un épais tapis blanc de s'étendre sur le sol. Il avait neigé toute la journée. Et toute celle d'avant. Et encore celle d'avant. Il n'avait plus neigé comme ça depuis un bon moment.
C'était comme si la nature avait voulu assister à la naissance de la petite Oikawa. Bailey, de son prénom.

Bailey était née le 24 décembre de l'année 2033, d'une mère américaine, Kathleen, et d'un père japonais, Roy.
Kathleen ne cessait de dire que ce Noël était le plus merveilleux de tous. Tandis que le père, un japonais  un susurrait amoureusement à l'oreille de sa fille qu'elle était son plus cadeau. Qu'elle était tout ce qu'ils avaient toujours voulu. Qu'elle était parfaite. Il lui contait déjà sa vie future et s'amusait à lui concevoir un brillant avenir, des étoiles plein les yeux, sous le regard attendri de sa femme.
L'accouchement n'avait pas été rose. Il y eut quelques complications et beaucoup de panique. Bailey pointa le bout de son nez un peu plus tôt que prévu, mais elle faisait le bonheur absolu de ses parents, et de ses grand-parents. Elle était leur petit trésor à tous. Elle était leur tout. Et chacun jurait de la protéger de toutes ses forces. De lui donner tout ce qu'elle rêvait d'avoir. D'être là pour elle à chaque moment important de sa vie.
De l'aimer, tout simplement.

Et Bailey avait grandi dans l'amour et la tendresse.

Elle était une petite fille timide, mais souriante. Et pleine d'énergie. Elle donnait le tournis à son père lorsqu'ils s'amusaient tous les deux au parc. Elle était curieuse, aussi. Elle écoutait toujours avec attention tout ce que lui racontait sa mère, même si elle n'en comprenait pas la moitié.
Elle était ce genre d'enfant qui se cachait derrière sa génitrice lorsque des inconnus venaient à la maison. Elle était ce genre de petite fille qui riait à tout et n'importe quoi – surtout n'importe quoi. Elle était ce genre de fillette plutôt maligne pour son âge. Elle faisait partie de ces enfants qui se salissaient tout le temps, même quand elle ne faisait rien – son père venait à se demander si elle n'était pas magicienne. Elle était du genre à apprendre vite, ce qui ravissait son père lorsqu'il s'amusait à lui apprendre le japonais.
Elle était ronchonne, têtue, susceptible, capricieuse, parfois maladroite, polie, silencieuse, douce.
Et surtout, elle aimait ses parents.

Un trait qui ne la quitta jamais, d'ailleurs. L'amour qu'elle avait pour ses parents était immense et indétrônable. Ils étaient son univers. Elle pensait à eux avant de penser à elle. Les voyages scolaires étaient un cauchemar pour elle et elle refusait toujours d'y aller. Elle refusait d'être séparée de ses parents trop longtemps. Elle les aimait. De tout son cœur. De tout son être.
En grandissant, d'autres traits de son caractère s'étaient renforcés. Certains avaient disparu, comme son côté énergique. Elle n'était plus du genre à courir partout. Elle était plutôt posée sur le canapé, un bon livre entre les mains. Elle n'était plus aussi timide qu'avant. Ses parents se demandaient d'où lui venait parfois le franc parler dont elle faisait preuve, ainsi que sa manière d'approcher les gens sans sourciller.
Ce fut d'ailleurs elle qui alla vers celle qui allait devenir sa meilleure amie, Emily. Elle était allée la voir, et s'était mise à lui parler comme si elle la connaissait depuis des années. Elles n'étaient que des collégiennes, mais déjà, un lien fort s'était créé entre elles. Elles se ressemblaient, physiquement, et on les confondait souvent. On les prenait parfois pour des sœurs, aussi. Elles avaient toutes les deux le corps fin et étaient plutôt grandes pour leur âge. Côté caractère par contre, elles étaient plutôt le contraire l'une de l'autre. Bailey avait une facilité déconcertante à prendre la parole, tandis qu'Emily osait à peine parler en classe. Mais elles s'entendaient bien. Très bien même. Elles ne se quittaient plus.

Elles finirent, par chance, dans la même classe au lycée aussi. Bailey n'aurait su découvrir à quel point elle était heureuse d'être en classe avec Emily. D'être avec celle qu'elle voyait comme une sœur. Elle avait d'autres ami(e)s mais Emily était la plus importante. Elle faisait toujours son maximum pour qu'Emily s'entende avec ses autres camarades. Elle faisait toujours tout son possible pour qu'elle sourit. Elle était la première à lui sécher ses larmes. La première à lui tendre la main.
Car elle savait que la réciproque était de mise. Emily était toujours là pour elle. Elle ne la laissait jamais seule. Bailey savait qu'elle comptait sur elle. Et elle lui confiait tout. Tous ses secrets, toutes ses pensées, toutes ses envies. Elle n'avait pas de filtre avec elle. Parce qu'elle savait qu'Emily ne pourrait pas la trahir.
Elle était comme sa moitié. Elle était la sœur qu'elle n'avait pas eu. Elle était une partie de son univers.

Les deux adolescentes avaient un lien unique. Elle était toujours l'une avec l'autre. En sortie scolaire, elles étaient toujours fourrées ensemble et ricanaient de tout et de rien. Elles écoutaient la même musique et regardaient les mêmes films. Elles admiraient plus ou moins les mêmes personnes. Bref, elles s'entendaient à la perfection. Et rien ne pourrait les séparer.
Du moins, c'était ce que Bailey pensait à cette époque. Elle pensait que leur lien était plus fort que tout.
Sauf qu'il y avait plein de paramètres qu'elle avait oublié dans son calcul.

Emily était tombée amoureuse, comme toutes les filles de son âge. Elle aurait pu jeter son dévolu sur Chris, ce deuxième année sympathique et drôle. Ou bien Nathan, de leur classe, avec qui elles parlaient parfois. Mais non. Il avait fallu qu'elle tombe amoureuse du garçon le plus populaire, et le plus exécrable, William.
William était ce cliché sur pattes du « gosse de riches ». Il était hautain, égoïste, irrespectueux, et pourtant, plus de la moitié du lycée l'admirait. Bailey ne l'aimait pas. Elle n'aimait pas sa manière de parler, que ce soit aux autres élèves ou aux adultes. Elle n'aimait pas sa façon de se comporter, cette manière de croire que tout lui était dû, alors que non. Elle ne supportait pas la façon qu'il avait de traiter ceux qui osaient lui dire ce qu'ils pensaient.
Bref, il était insupportable.
Elle tenta de convaincre Emily que ce n'était pas lui le garçon de ses rêves. Elle tenta de lui faire ouvrir les yeux sur qui il était vraiment. Mais rien n'y faisait. Elle était désespérément accrochée à William.
Elle voulait tout connaître de lui. Ses rêves, ses passions, ses ambitions. Elle voulait s'approcher de lui le plus possible. Elle voulait faire parti de son « cercle ». Elle voulait être proche de lui.
Bailey voulait tout le contraire : être le plus loin de lui possible. Il était nocif. Et à cause de lui, les deux amies se disputaient parfois. Elles se rabibochaient toujours au final, mais une nouvelle dispute éclatait généralement quelques jours plus tard.
Avant que Bailey comprenne qu'il valait mieux qu'elle laisse Emily se rendre compte de ses propres erreurs. Alors elle ne disait plus rien. Elle la laissait rêver du prince pas si charmant. Elle la laissait tenter de se rapprocher de lui. A quoi bon la mettre en garde ? Elle n'écoutait pas.

Et vint le soir où tout dérapa. Le soir où la vie de Bailey prit un tournant à 180°. Le soir où sa vie devint un cauchemar.
Emily était invitée à une soirée organisée par William. Elle rêvait d'y aller, mais timide comme elle était, inconcevable pour elle d'y aller seule. Alors elle y avait traîné Bailey, en lui faisant croire que Chris, le fameux deuxième année avec qui elle s'entendait bien, serait là. D'abord contre l'idée de participer à une soirée idiote en compagnie d'idiots, Bailey avait refusé... pour finalement accepter. Si elle pouvait passer sa soirée en compagnie de Chris, ce ne serait pas si mal non ? Ils avaient plusieurs intérêts communs et discuter avec lui était facile et sans prises de tête.
Elle avait enfilé une jolie petite robe bleue que sa mère lui avait récemment offert, et accompagnée d'Emily, elle était partie en direction de la maison de William.

Sauf que Chris n'était pas là. Après avoir arpenté plusieurs fois les couloirs et les différentes pièces de la demeure, Bailey dut se rendre à l'évidence qu'Emily lui avait menti. Pour couronner le tout, à chaque fois qu'elle croisait William, il se donnait en spectacle et était encore plus pathétique que d'habitude. En gros, cette soirée était nulle. Bailey se maudissait d'être tombée dans le panneau et aurait préféré rester chez elle. Lire un bon livre policier était une occupation beaucoup plus instructive que de perdre son temps ici.
Elle alla voir Emily plusieurs fois afin qu'elles rentrent toutes les deux, mais à chaque fois sa meilleure amie répondait par la négative. Elle songea à partir sans elle et à la laisser là... Mais un regard autour d'elle la faisait à chaque fois changer d'avis. Alors elle soupirait et s'éloignait. Elle observait son amie de loin, adossée contre un mur, les bras croisés sous sa poitrine, le visage fermé.
Plus le temps passait, plus sa patience en prenait un coup, et plus son agacement était visible. Elle tapait du pied, soupirait, grognait même. En plus de ça, la musique lui donnait mal à la tête et le comportement de tous les autres invités la désespérait.
Dans un dernier regard vers Emily, elle quitta la pièce et partit déambuler dans les couloirs de la maison, pour finalement s'isoler dans une pièce à l'écart de tous. Elle aurait dû demander à son père de rester là. Elle savait qu'elle ne voudrait pas rester... Elle aurait dû lui dire de ne pas s'en aller et d'attendre. Mais Emily...
Un autre soupir quitta ses lèvres alors qu'elle passait maladroitement une main dans ses longs cheveux blonds. Son amie allait en entendre parler de cette soirée, et pas en bien.
Curieusement, elle observa la pièce dans laquelle elle se trouvait – quitte à passer le temps... Son regard détaillait chaque photo, chaque tableau et surtout chaque livre autour d'elle. Ses doigts s'amusaient à en caresser certains alors qu'ils tournaient les pages d'un autre qui était ouvert sur le bureau.
Elle n'entendit pas la porte s'ouvrir et se fermer derrière elle peu de temps après qu'elle soit entré. Elle continuait de tout observer, de tout toucher. Un fin sourire décorait ses lèvres à la vision de certains livres tandis qu'un froncement de sourcils le remplaçait quand elle en découvrait qu'elle ne connaissait pas.
Et puis elle entendit un léger rire. Après un sursaut non dissimulé, elle se retourna sur elle-même pour faire face à William. Évidemment. Elle mit toute sa rancœur dans son regard, plissant son visage dans un moue mécontente et totalement dégoûtée. Il était bien la dernière personne qu'elle voulait voir.
Elle fit un premier pas, les lèvres collées l'une à l'autre alors qu'elle fixait la porte droit devant elle. Elle fit un deuxième pas, puis un troisième, ne tournant même pas son regard dans la direction de celle du garçon. Son objectif était de sortir de cette pièce.
Malheureusement, elle n'en eut pas l'occasion.
Tout s'était passé tellement vite. Elle n'avait pas eu le temps de comprendre qu'elle se retrouvait allongée et bloquée sur le sol par William. L'action fut si rapide qu'elle en eut le souffle coupé l'espace de quelques secondes. Et pendant ces quelques secondes, ses poignets furent cloués sur le sol, les doigts d'une main du garçon les entourant, et les serrant d'une telle force qu'elle en aurait des bleus plus tard.
Plus Bailey se débattait, plus William devenait violent. Ses doigts arrachaient presque la peau de ses poignets tellement il les serrait tandis que son autre main agrippait le bas de sa jupe pour le remonter. Elle sentait la douceur du textile lui chatouiller les cuisses.
Elle sentait la panique et la peur couler dans ses veines. Elle sentait son cœur battre à vive allure. Elle sentait ses membres bouger dans tous les sens, mais elle sentait aussi ses mains à lui partout sur son corps. Elle sentait ses corps vocales brûler, s'incendier un peu plus au fil des secondes, alors qu'elle hurlait. Qu'elle lui criait à la figure de la lâcher, de la laisser tranquille, et d'arrêter. Elle sentait sur ses lèvres le goût salé de ses larmes qui envahissaient ses joues. Elle sentait le dégoût, le désespoir, la douleur, les empreintes de ses doigts, son souffle dans son cou, ses dents sur sa nuque.
Elle ne sentait plus le sol sous son corps. Elle ne sentait plus la présence des autres ailleurs dans la maison. Elle n'entendait même plus ses propres pleurs, couverts par la musique assourdissante. Elle ne sentait plus ses mains, qui étaient engourdies à force de rester prisonnières contre le sol. Elle ne sentait plus son propre cœur. Elle n'entendait plus sa respiration, elle n'entendait que la sienne, à lui. Elle ne sentait plus le léger parfum qu'elle avait mis avant de venir. Elle ne sentait plus que le sien partout contre elle.

Elle ne se sentait plus vivante.

Elle ne savait pas combien de temps elle était restée allongée sur le sol. Elle ne savait pas combien de temps s'était écoulé entre le moment où elle était entrée dans la pièce et le moment où elle en sortit. Elle ne savait plus qui étaient tous ces gens qui la dévisageaient alors qu'elle avançait dans la maison. Elle ne savait plus réellement où elle était, ni pourquoi elle était là. Elle ne savait pas comment, mais elle était arrivée dehors. Le froid contre ses joues lui fit comme un électrochoc. Un long frisson parcourut son corps, et elle osa enfin baisser la tête vers ce dernier.
De nouvelles larmes coulèrent sur ses joues tandis que, d'une main tremblante, elle retint l'une de bretelles de sa robe de tomber. Une boule se forma dans son estomac, et dans sa gorge, alors qu'elle tentait d'avancer du mieux qu'elle le pouvait.
Ses parents. Elle devait voir ses parents.

Mais ses parents, elle n'avait pas osé les affronter. Elle n'avait pas osé affronter leurs regards, leurs questions, leurs gestes. Elle se sentait sale, et souillée. Elle avait cette boule au ventre qui refusait de s'en aller et cette impression d'avoir été marqué au fer rouge.
Elle fit à peine claquer la porte en entrant. Elle ne fit pas plus de bruit en montant les escaliers. Elle n'en fit pas plus en entrant dans la salle de bain. Elle retira sa robe comme si elle l'avait brûlée et la jeta à la poubelle sans un regard. Elle se glissa sous la douche, et se frotta. Encore. Et encore. Et encore. Sa peau était rouge, mais ce n'était pas assez. Elle était encore sale. Tellement sale...

Durant les jours suivants, elle n'osa pas regarder ses parents dans les yeux une seule fois. Elle se sentait coupable. Elle se sentait honteuse, et toujours aussi encrassée. Elle voulait leur en parler, mais les mots n'arrivaient pas à se former. Elle n'arrivait pas à trouver le courage nécessaire pour mettre les syllabes les unes à la suite des autres.
A l'école, elle essayait de passer inaperçu. Elle aurait voulu rester chez elle, dans son lit, mais ses parents lui auraient posé des questions et... Non. Impensable.
Peut-être qu'elle aurait dû, au final. Tout devint beaucoup plus compliqué au lycée.
Personne ne faisait attention à elle, au début. Puis au bout de quelques jours, quelques rumeurs se mirent à circuler. Quand elle passait, les élèves murmuraient, et ricanaient dans son dos. Certains la regardaient de haut en bas d'un air moquer. D'autres l'ignoraient, tout simplement.
Ce fut la suite de sa descente aux Enfers. On commença à se moquer d'elle, à la pointer du doigt. A la traiter de « traînée » et de « fille facile ». On ne se gênait pas pour rire de son malheur. William ne s'en privait pas non plus, insistant en répétant qu'elle avait aimé ça. On la harcelait. On lui découpait sa tenue quand elle était en sport. On lui lançait un seau d'eau alors qu'elle se cachait dans les toilettes. On se permettait de la juger sans savoir ce qu'il s'était passé.
Elle qui était si souriante et joviale d'habitude devenait plus renfermée et silencieuse. Elle ne parlait plus beaucoup. Elle ne riait plus. Elle ne vivait plus, d'une certaine façon. Elle prenait sur elle tous les jours pour affronter les brimades des autres élèves. Elle faisait tout pour que jamais ses parents ne sachent. Pour qu'ils n'aient pas honte d'elle comme elle avait honte d'elle-même. Pour qu'ils ne s'inquiètent pas pour elle. Pour qu'ils n'aient pas de soucis.

Malheureusement, Bailey eut du mal à cacher tout cela. Elle avait toujours été bonne actrice mais ses limites avaient largement été dépassé. Elle n'y arrivait plus. Elle était épuisée, brisée, apeurée, accablée, à bout.
Alors un jour, en pleine journée de cours, alors qu'on la pointait une nouvelle fois du doigt, elle finit par éclater. Toute était calme dans le couloir après qu'elle ait déversé sa haine. Après qu'elle ait hurlé le mal qu'elle ressentait ainsi que le désespoir qui l'habitait. Après qu'elle ait crié de toutes ses forces qu'elle n'avait jamais voulu ça. Après qu'elle ait confronté Emily et tous les autres à la réalité.

Personne ne la crut. Il y eut un long silence et quelques messes basses avant qu'un premier rire ne résonne. Puis un autre. Et encore un autre. Plusieurs doigts se levèrent vers elle à nouveau alors qu'on la traite de menteuse. Certains lui disaient qu'elle n'avait eu que ce qu'elle méritait. Qu'elle l'avait cherché. Que c'était de sa faute. On commenta même sa tenue de ce soir-là.
Tout était de sa faute. Elle était la victime, et on la faisait passer pour le bourreau. Elle était en morceaux et on cherchait à la briser encore plus.

Quand ses professeurs la convoquèrent, eux aussi eurent du mal à la croire. Elle voyait sur leurs visages qu'ils hésitaient. On lui demanda même si elle n'avait pas fait quelque chose de mal ce soir-là. Quelque chose qui aurait pu contrarier William. On lui demanda si elle disait bien la vérité, car elle portait de graves accusations sans aucune preuve réelle. Elle risquait gros si tout ceci était un mensonge. Elle risquait gros si elle détruisait la vie d'un autre adolescent, ou si elle faisait cela parce qu'il l'avait vexée.
Quand le directeur du lycée convoqua ses parents, qui avait été mis au courant de son emportement dans le couloir, elle n'osa plus parler. Le doyen de l'établissement lui demanda plusieurs fois de répéter ce qu'elle avait hurlé à gorge déployée en plein couloir. Il lui demanda plusieurs fois si tout ce qu'elle avait dit était vrai. Ses parents la supplièrent de raconter ce qu'il s'était passé.
Et elle avait eu peur. Peur que personne ne la croit. Peur que ses propres parents ne la voient comme une menteuse. Peur qu'on lui répète que tout était de sa faute. Peur qu'on la montre du doigt. Qu'on l'accuse. Qu'on fasse d'elle une coupable sans chercher à en savoir plus. Sans chercher à savoir la vérité.
Alors elle n'avait rien dit. Elle était restée silencieuse sur sa chaise, le regard posé droit devant elle. Elle garda ses lèvres scellées, refoulant toutes ces émotions qui ne demandaient qu'à être entendues.
Refoulant tout, et acceptant que ce n'était pas elle la victime dans tout ça.

Elle pensait cependant avoir le soutien de sa meilleure amie. Elle pensait qu'Emily serait à ses côtés, qu'elle la soutiendrait et la défendrait contre tous.
Ce ne fut pas le cas. Emily devint même celle qui se moquait le plus d'elle dans les couloirs de l'école, ou en salle de classe. Et quand elles étaient seules, elle la traitait de manipulatrice et de voleuse. Elle lui reprochait d'avoir l'attention de toute l'école, et surtout de William. Elle l'insultait de tous les mots.
Ce fut douloureux pour Bailey. Plus que le reste. Celle qui était son soutien la laissait tomber. Celle qui était sa confidente déballait ses secrets à qui voulait les entendre. Celle qui avait été sa meilleure amie était à présent sa meilleure ennemie.

Il y avait des élèves qui voyaient en William un tortionnaire né, mais par peur de représailles, ils baissaient tous la tête et observaient Bailey se faire humilier tous les jours. Car eux aussi, avaient peur. Ils ne voulaient pas subir tout ce qu'elle subissait. Ils voulaient l'aider... mais pas au point de finir plus bas qu'elle.

Évidemment, Bailey ne finit pas ses années dans cet établissement.
La famille Oikawa dut se rendre d'urgence au Japon. La mère de Roy, une femme adorable et qui, d'après ses souvenirs, débordait de joie de vivre et d'énergie, était gravement malade. Et il n'y avait plus rien à faire. Les médecins avaient fait leur possible, mais c'était trop tard. La maladie avait gagné trop de terrain et elle l'affaiblissait un peu plus chaque jour. Ils conseillèrent alors de réunir la famille au plus vite. Histoire qu'elle puisse voir ses proches une dernière fois avant de s'en aller définitivement.
La petite famille quitta donc la ville de Winchester pour celle d'Osaka, et décida d'y rester.

Bailey s'adapta très vite à sa nouvelle vie. Évidemment, rien n'était plus pareil. Elle avait laissé une part d'elle-même très importante à Winchester, et personne ne pourrait la lui rendre.
Elle se fit une amie, une vraie, à l'Université. Haruka. Elle craignait néanmoins de la voir s'en aller. Elle craignait que Haruka ne lui tourne le dos comme Emily l'avait fait. En attendant que cela arrive, elle en profitait du mieux qu'elle le pouvait.

Ce fut Haruka qui lui proposa de faire un voyage à la fin de leurs études, une fois qu'elles auraient leurs diplômes. Idée que Bailey accepta au bout de quelques jours.
Et ainsi, elles quittèrent le Japon pour s'envoler vers Kyul, la capitale d'Aikoyangi.

Capitale qu'elles n'ont toujours pas quitté.

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